Les récits de Didier : une Guerre Froide caliente

23h30. Place Verdun. Il faisait froid ce soir-là. Les moteurs des bus ronronnaient. Les soldats, placés en file indienne par les officiers vêtus de noir et d’orange, entonnaient des chants d’asso glaçants. Les cris d’AG venaient percer le silence de la nuit, la guerre venait de commencer. Pour pouvoir rentrer dans le bus, un premier contrôle doit être passé. Il faut alors fouiller dans sa boîte mail à la recherche d’un justificatif Lydia qui se cache très probablement entre deux notifications Yammer. Une fois ce contrôle passé sans accroc, tout jeune soldat doit choisir sa place pour partir au front. Bien que théoriquement très court, le trajet est en réalité très long. Entre limousins, arrachages de toits de bus, « c’est à l’arrière… » et autres chants folkloriques, le trajet a tout d’un périple sans fin. C’est dans cette atmosphère simiesque et alcoolisée que les premiers combats font rage, souvent entre la partie avant et la partie arrière du bus. Mais cette rivalité disparaît une fois arrivés à destination, car c’est un tout autre combat qui débute : celui de la SAT, de soi face à l’open-bar.
Une fois sur place, les derniers arrivants sont accueillis par l’amabilité et la douceur du personnel de sécurité. Une fois passé cet ultime contrôle, les fauves sont lâchés. Chacun choisit son camp, après quoi certains se ruent vers les mélanges explosifs, d’autres enlacent leurs camarades qu’ils retrouvent dans un piètre état. En débarquant là-dedans, on a l’impression de voir une scène de la Planète des singes. Les gens crient, les gens pleurent, les gens rient, les gens dansent, tout va pour le mieux. Enfin pas pour tout le monde. Évidemment, certains sont à l’agonie. Des gens rampent au sol, certains cherchent vainement leur portable qu’ils ont laissé tomber par terre, d’autres veulent se battre avec la sécurité. C’est ce subtil mélange de festivité et de chaos qui fait la beauté d’une SAT. Tous les sens sont sollicités : la douce fragrance de l’urine dégoulinant sur les barrières de sécurité vient chatouiller vos narines, les transitions approximatives du DJ viennent vous chuchoter aux oreilles et les centaines de chopes langoureuses viennent anoblir le paysage. Pour immortaliser ce doux moment, les reporters du JT accourent de part et d’autre du champ de bataille à la recherche de la moindre crasserie à se mettre sous la dent. Les heures passent et les troupes perdent bon nombre de leurs soldats, les effectifs se réduisent à vue d’oeil. Les officiers remplissent les bus de cadavres et les différentes vagues de rapatriement s’enchaînent et se répètent.
4h. Il ne reste que les plus courageux sur le dancefloor, ceux capables de danser sur de la Trans ou de la Frenchcore, mais surtout ceux encore capables de tenir sur leurs deux jambes. Dehors, le champ de bataille est de plus en plus vide, il ne reste plus que quelques couples d’un soir s’embrassant au milieu des décombres d’écocups brisés sauvagement contre des crânes ensanglantés. Mais même pour ces jeunes tourtereaux, il faut rentrer, car il est maintenant l’heure pour nos chers officiers de tout ranger. Armés de leurs raclettes et de leurs sacs poubelles, c’est un véritable ballet ménager qui s’ouvre. Des montagnes d’écocups sont formées, une gigantesque collection d’objets trouvés est constituée et les quelques bouteilles rescapées sont placées en lieu sûr. Quelques heures plus tard, les officiers arrivent enfin à bout de cette horrible décharge qu’est devenue le hangar. Ils peuvent enfin rentrer chez eux et se reposer quelques heures avant leur cours de compta.
Au petit matin, tous les soldats de la veille reprennent peu à peu leurs esprits, certains se rendent compte qu’ils devraient être en cours à cette heure-ci, d’autres s’empressent de mettre un message sur Admis GEM pour tenter de retrouver leur téléphone et d’autres encore cherchent à savoir qui les a embrassés juste après qu’ils ont vomi. La journée risque d’être très longue pour nombre d’entre eux et le retour à la réalité très violent. Cependant, il ne sera que de courte durée car la semaine suivante, les soldats quittent leur uniforme de guerre pour celui de la corrida.
-Mattéo Bernard