Qui s’excuse, s’accuse

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Qui s'excuse, s'accuse

L’enjeu de la mémoire de la guerre d’Algérie dans la politique d’Emmanuel Macron

Aujourd’hui Emmanuel Macron a parlé. Ou peut-être hier. J’ai reçu une alerte Le Monde « Campagne 2022. Discours demain. Algérie mentionnée ». Cela ne veut rien dire, c’était peut-être hier.

Hier nous commémorions le soixantième anniversaire du massacre de Paris du 17 octobre 1961. Alors en pleine guerre d’indépendance algérienne, c’est la mise en place d’un couvre-feu qui provoque un emballement de la violence à la capitale. Maurice Papon, alors préfet de Paris, décide d’un couvre-feu réservé aux Algériens. Face à une nouvelle mesure à deux vitesses, les principaux concernés organisent une manifestation non-déclarée qui connaîtra une violente répression. Des dizaines d’entre eux sont jetés des ponts de Paris et se noient.

Samedi, le Président de la République leur rendait hommage à la hauteur du pont de Bezons, là où les manifestants étaient à l’époque passés. Il s’est recueilli et a observé une minute de silence, une première pour un chef d’Etat français. Ce puissant geste mémoriel n’est pas surprenant de la part d’Emmanuel Macron. Si les mémoires de la guerre d’Algérie constituent un sujet sensible en France, des propos forts ne sont pas rares dans la bouche du Président, surtout en période de campagne électorale.

Déjà en février 2017 lors d’un voyage en Algérie, Emmanuel Macron qualifie la colonisation de « crime contre l’humanité » et de « vraie barbarie ». Cette déclaration fait couler beaucoup d’encre, notamment au sein de la droite, faisant alors apparaître Emmanuel Macron comme un candidat qui n’a pas froid aux yeux. En osant toucher à un sujet aussi brûlant que la mémoire, il s’adresse alors à un électorat parfois oublié. Alors que le Président de l’époque, François Hollande, avait reconnu les « souffrances » infligées à l’Algérie par la colonisation en 2012, Emmanuel Macron, lui, emploie les grands moyens. Au sujet des ratonnades policières, François Hollande reconnaît ce massacre, Emmanuel Macron parle aujourd’hui de « crimes inexcusables ».

Pourtant, les mots forts du candidat ne muent pas en excuses nationales.

Le 20 septembre dernier, le Président de la République disait « assumer pleinement que la France reconnaisse la multitude des mémoires et des destins ». Cette phrase prononcée durant la réception consacrée à la mémoire des harkis sous-entend les enjeux de la mémoire nationale en France. Toutefois, le pays connaît en son sein des mémoires irréconciliables. Le travail de mémoire relève alors du choix.

Ainsi, lorsqu’Emmanuel Macron présente des excuses officielles aux harkis et à leurs enfants, il s’adresse à une population longtemps abandonnée en France. Les harkis n’ayant reçu après avoir combattu auprès de la France que le rejet de leur pays d’origine, leur reconnaissance est un enjeu, un message à faire passer à l’électorat.

En plus d’excuses, le Président annonce la mise en place d’une commission chargée de la réparation à l’égard des harkis. Il précise que cette loi « n’aura pas vocation » à établir la vérité historique » prouvant une fois de plus les recoupements entre histoire et mémoires. Si ce projet accélère le travail de mémoire, il s’agit aussi d’un choix politique trouvant parfaitement sa place dans une campagne présidentielle.

Samedi, le Président nous a fait une démonstration de l’enjeu que les mémoires ont dans l’actualité politique. Les discours se succèdent, se ressemblent et se greffent dans le calendrier électoral. De cette manière, on comprend la difficulté de constater de réelles avancées dans le travail de mémoire, un processus franco-français extrêmement long.

De l’Alsace et la Moselle, Gambetta disait « pensons y toujours, n’en parlons jamais ». Cette maxime ne s’applique pas aux anciens territoires algériens et c’est très bien. Seulement de cette manière le travail pourra se faire. Parlons-en. Toujours.

-Juliette Mialet