Dossier vie privée: Lutter contre les atteintes à la vie privée

Si la question de la récolte de données utilisateurs par les GAFAM est aujourd’hui familière, les connaissances générales en la matière restent très superficielles. Paradoxalement, ce sujet alarme sérieusement dans les plus hautes sphères politiques internationales, où des actions sévères sont prises contre les géants du Web qui ont une domination sans précédent sur les informations des utilisateurs. Le 15 décembre 2020, l’Union Européenne a adopté deux mesures, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Marketing Act (DMA), dans le but de réguler la récolte des données et leur utilisation ciblée. Ces mesures interviennent dans un contexte global de méfiance gouvernementale face aux GAFA depuis l’affaire Snowden, et plus récemment, le scandale Cambridge Analytica. Ces deux affaires ont permis aux gouvernements -qui autrefois comptaient sur l’auto-régulation de ces entreprises- de se rendre compte de la réalité de la portée de l’utilisation des données des utilisateurs et leur potentielles fins politiques. Depuis, d’importants progrès ont été réalisés pour entraver la position des GAFAM, allant jusqu’à pousser une entreprise comme Facebook à retirer ses services dans l’Union Européenne en 2020.
Si les gouvernements ont des politiques strictes sur le sujet, pourquoi s’y intéresser à une échelle individuelle ?
Les progrès sont loin d’être suffisants. D’une part, car ces législations n’entravent pas la collecte massive de données. Les outils pour qu’une manipulation de masse du style de Cambridge Analytica se réitère sont toujours à disposition. D’autres part, la sécurité informatique des géants de la tech est loin d’être suffisante pour empêcher des fuites de données lors d’attaques informatiques. Il n’est pas rare de voir des données utilisateurs d’entreprises piratées se retrouver en vente sur le Dark web. Aujourd’hui, le constat est qu’Internet reste un « Far-West » (Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur), et qu’il faut donc se protéger à une échelle individuelle.
En quoi la récolte des données est-elle une atteinte à notre vie privée ?
Tout d’abord, nos données sont récoltées sur la base de notre comportement sur internet, c’est-à-dire que tout ce nous faisons en ligne sera utilisé afin de créer notre « profil ». Ainsi, à partir de ce profil, les algorithmes vont pouvoir analyser nos goûts et nous cibler avec des publicités ou du contenu qui seraient adaptées à nos goûts. Si l’intention de proposer l’expérience la plus adaptée à tous les utilisateurs part d’une bonne intention, la réalité est bien différente. L’utilisation politique des données et la manipulation à grande échelle est bien aujourd’hui une réalité. Ceci est d’ailleurs très bien vulgarisé dans le documentaire The Great Hack de Karim Amer. Ce qu’il faut donc bien comprendre, c’est que la vie privée n’existe pas sur Internet sans protection. Tous nos mouvements sont analysés à des fins commerciales et peuvent être récupérés sans problème par des organisations mal intentionnées.
Au-delà de la réalité politique, c’est toute la question du maintien du libre-arbitre qui se pose. Si ce sont les algorithmes qui nous font acheter notre prochain livre, qui nous font élire notre prochain article, qui nous font écouter notre prochain podcast, que devient-il du hasard des découvertes qui forge notre caractère en tant qu’humain ? C’est bien la pluralité des choses que nous savons, des opinions que nous entendons et que nous lisons qui fait de nous des hommes critiques et capable de raisonner. Si l’on retire cet élément de hasard qui est à la source de cette pluralité, que devenons nous, si ce n’est qu’incapable d’évoluer ?
Mais alors, comment se protéger de manière efficace ?
Ici réside un autre paradoxe : la proportion de la population qui agit à une échelle individuelle contre l’utilisation de ses données est très faible lorsqu’on la compare à la facilité à se protéger.
Tout d’abord, il faut simplement changer de moteur de recherche et de navigateur. Si Google Chrome a effectivement une interface dont il est difficile de se débarrasser, il est pourtant facile de le faire pour transitionner vers Mozilla Firefox, et Qwant. Ces moteurs de recherche ont des politiques de respect de la vie privée et de la confidentialité bien plus strictes que Google, qui lui laisse passer tous les outils de traçages. S’il vous est trop difficile de changer vos habitudes en matière de navigateur, vous pouvez installer l’extension de Navigateur “Forget me not”, qui vous permettra de ne laisser aucune trace derrière vous. Pour un usage sur votre smartphone, l’application Jumbo dans sa version gratuite vous permettra de garder un œil sur votre présence en ligne, et sur l’utilisation de vos données, et dans sa version payante de complétement effacer votre présence sur internet.
Au-delà d’une simple violation de notre vie privée, Internet nous met dans une position où il est aujourd’hui nécessaire de se protéger face aux ingérences extérieures.
-Louis Bornet